L’enseignement supérieur et la recherche sont des domaines essentiels au développement du pays, qui ont fait l’objet de réformes nombreuses. Frédéric Forest a coordonné la deuxième édition des « Universités en France », parue en décembre dernier aux PURH, qui regroupe les contributions d’une trentaine d’auteurs, acteurs, experts, chercheurs et spécialistes de l’enseignement supérieur et des universités pour dresser un panorama très riche de l’organisation, des missions et du fonctionnement des Universités. Il revient sur quelques-uns des enjeux majeurs du secteur.

Entretien avec Frédéric Forest1
Propos recueillis par Antoine Schwartz, chargé de domaine finances, et Jean-Robert Petit, chargé de domaine pilotage.

Quels sont selon vous les principaux défis auxquels sont confrontés les universités ?

Frédéric Forest : En introduction j’évoque trois défis qui me paraissent particulièrement saillants. Un premier défi est celui du financement de l’enseignement supérieur et de la demande étudiante. Cette dernière a considérablement augmenté en France et dans le monde, et on devrait encore compter 143.000 étudiants de plus en France entre 2019 et 20292. Cette demande d’enseignement supérieur et cette demande d’université est une bonne nouvelle pour le pays et le monde car elle est synonyme d’augmentation des qualifications. Rappelons que, selon le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle, l’emploi non-qualifié aura baissé de -20 % entre 2015 et 2025 alors que l’emploi qualifié aura inversement augmenté de +20 %. Mais ceci pose d’abord la question de la formation, initiale, continue, en alternance alors que les étudiants en France sont particulièrement jeunes (14 % ont plus de 25 ans en France, contre 47 % en Suède) et qu’on leur demande de choisir tôt, très tôt. L’étudiant français est encore trop souvent dans une logique de parcours tubulaire avec l’injonction de terminer rapidement ses études, sans s’arrêter, comme s’il était dans un TGV, pour reprendre une image du sociologue Nicolas Charles. C’était tout l’objet de la spécialisation progressive voulue par la loi de juillet 2013 sur l’enseignement supérieur que de répondre en partie à cette question.

La loi ORE n’a-t-elle pas engagé des changements importants en la matière ?

FF : Plusieurs auteurs reviennent dans l’ouvrage sur les transformations de la formation et des conditions d’accès à l’enseignement supérieur avec la loi du 8 mars 2018 sur l’orientation et la réussite des étudiants. Daniel Filâtre, en particulier, analyse l’évolution de l’organisation des enseignements depuis plus de vingt ans, avec le processus de Bologne, la mise en place du LMD et les lois de 2013 et 2018. Mais Marie Duru-Bellat nous rappelle que des inégalités importantes caractérisent notre système. Une note récente de l’INSEE en 2021 évoque l’ensemble de filières denses et stratifiées que constitue notre système et la ségrégation entre ces filières selon l’origine sociale. La réalisation d’une véritable démocratisation reste d’ailleurs probablement un des plus grands défis de notre système, le second que j’évoque dans l’introduction, le rapport annexé à la loi de programmation de la recherche de 2020 pointant « l’échec des politiques publiques face au problème persistant des inégalités dans l’éducation ». On a certainement progressé avec l’instauration de quotas de boursiers dans Parcoursup, mais le système d’aide est aussi à remettre sur le métier. Daniel Filâtre, qui a été rapporteur général de la consultation sur le premier cycle en 2017 en amont de la loi ORE évoque la révolution pédagogique à l’œuvre dans les universités.

Répondre à cette demande nécessite donc des financements importants, que diriez-vous de cet enjeu ? Comment trouver ces financements ?

FF : L’enjeu du financement est crucial et complexe et c’est un des défis les plus importants des années à venir, à la fois parce que la demande étudiante et le besoin de qualifications sont forts et parce que la recherche est un moteur de la croissance et du progrès de nos sociétés. Thomas Piketty dans Le Capital au XXIème siècle indiquait que le mode de financement de l’éducation était une des « questions les plus cruciales du siècle qui s’ouvre ». La Commission européenne s’est d’ailleurs prononcée en 2020 sur un objectif d’une part publique de 1,25 % du PIB consacrée à l’enseignement supérieur. Et les pays de l’OCDE ont massivement investi et la France également, mais pas assez par rapport à l’augmentation des effectifs pour conserver les taux d’encadrement. Il est vrai que le financement reste majoritairement public et que cet effort repose donc sur l’État, qui finance à plus de 80 % les universités. Enora Bennetot Pruvot rappelle aussi, dans l’ouvrage sur les universités, que c’est le cas généralement en Europe où les universités publiques continuent de dépendre de financements publics, hormis l’Angleterre et l’Irlande. Elle analyse aussi les évolutions des modes de financement, que ce soit par un modèle ou formule de financement, un contrat de performance ou des appels à projets.
En France, on a aujourd’hui un enjeu à la fois de financement des ressources humaines, que ce soit l’évolution des rémunérations ou l’augmentation des effectifs, qui permettrait d’améliorer les taux d’encadrement, et aussi de fonctionnement et d’investissement. En termes d’investissement, les universités sont confrontées à un fort enjeu immobilier, qui est devenu un actif stratégique. Dans le chapitre sur l’immobilier universitaire, Franck Joyeux et Nicolas Gaillard rappellent qu’on consacre environ 7,5 €/m2 pour l’entretien du patrimoine alors qu’il en faudrait le double. Rappelons que 700 M€ viennent d’être dédiés à la rénovation énergétique du patrimoine des établissements.
Dans l’ouvrage, j’explore aussi la question des droits en rappelant plusieurs études sur le sujet et surtout le fait que le rendement d’un investissement dans l’enseignement supérieur est important à tous les points de vue, public comme privé. Sachant qu’une des pistes d’augmentation des ressources repose sur l’augmentation de la formation continue, François Germinet, auteur d’un rapport sur la question, y revient aussi dans l’ouvrage. Dans la partie sur la recherche, Jean-Richard Cytermann évoque également les financements liés à la recherche.

Plus largement, comment qualifieriez-vous l’évolution du pilotage des universités ces dernières années ?

FF : Manuel Tunon de Lara  [président de France Université], et Pascal Aimé [inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche et responsable du collège enseignement supérieur, recherche et innovation à l’inspection générale] analysent cette évolution dans l’ouvrage. Ils notent une professionnalisation indéniable des capacités de pilotage et de gestion des établissements. Cette évolution est concomitante d’un accroissement de l’autonomie des universités depuis la LRU, sur laquelle revient longuement Philippe Raimbault dans son chapitre. Quinze ans après la LRU, les universités jouissent de capacités accrues dans l’utilisation de leurs moyens. Pour avoir, en tant que DGS, en 2010, conduit le passage aux responsabilités et compétences élargies, tout comme la transformation du système financier, à l’université de Rouen, je peux témoigner de l’ampleur du changement. Il est loin le temps où le « bleu budgétaire » de Bercy prévoyait le nombre de personnels par corps, grade et par université ! Françoise le Fichant et Sophie Julien reviennent de manière approfondie sur les évolutions en termes de ressources humaines, soulignant à la fois l’autonomie accrue et les contraintes persistantes.
Quant à Manuel Tunon de Lara et Pascal Aimé, ils identifient plusieurs marqueurs du développement de la capacité de pilotage des universités : la construction d’une véritable administration universitaire, l’affirmation de l’encadrement supérieur, des progrès en termes de professionnalisation des capacités de gestion et un renforcement du tandem président-directeur général des services. Ils soulignent la capacité des universités à s’inscrire de plus en plus dans des stratégies différenciées de développement, ce que j’ai repris dans l’introduction de l’ouvrage sous l’idée « d’universités à l’ère des stratégies ». Ils soulignent aussi un rôle déterminant de plusieurs instruments dont le programme d’investissements d’avenir dans la structuration actuelle des établissements et ils proposent une typologie d’établissements. Enfin, ils reviennent sur le rôle des dirigeants, les modalités de dialogue avec l’État, qui n’ont cessé d’évoluer et la question encore pendante de l’association des composantes et communautés.

Peut-on parler d’une administration propre à l’université ? Si oui, quels sont les enjeux ?

FF : Oui, il y a eu un mouvement d’affirmation d’une administration universitaire, avec une professionnalisation accrue et, de manière emblématique, un directeur général des services qui contribue à l’élaboration de la stratégie de l’établissement. Ceci me conduit à m’interroger sur la formation des cadres universitaires et des politiques des établissements, à laquelle l’Amue participe.
Je suis convaincu qu’il y a un enjeu majeur et que des initiatives en la matière sont encore possibles et souhaitables. Il a existé il y a dix ans un cycle supérieur de management des établissements d’enseignement supérieur organisé par l’ENA et, à l’époque, l’ESENESR. Aujourd’hui, l’IH2EF, auquel je suis associé, forme à nouveau les cadres supérieurs avec l’Amue et France Universités, et offre des ressources diverses3 . D’autres lieux existent comme le master Développement et management des universités à l’Université Paris Est Créteil, qui permet de former des étudiants et des cadres et spécifiquement aux problématiques de l’enseignement supérieur. Il reste toutefois à les développer et à donner une visibilité plus grande à ces ressources et parcours. Toutes ces ressources et ces lieux de formation doivent participer à créer une administration universitaire formée aux spécificités d’une institution singulière qui répond à des valeurs partagées au niveau international affirmées par la Magna charta universitatum et dont la défense constitue, d’une manière générale, dans le monde comme en Europe, le troisième défi que j’évoque en introduction de l’ouvrage.

Fréderic Forest est inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, ancien directeur général des services de l’université de Rouen, chef de service au ministère chargé de l’enseignement supérieur et directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle par intérim en 2017.

Il est aussi docteur et habilité à diriger des recherches en lettres et sciences humaines ainsi que l’auteur d’une seconde édition des « Universités en France », parue en décembre 2021 aux PURH.

 

Consultez les parcours de formation de l’IH2EF en cliquant ici

 

1 Frédéric Forest (dir.), Les universités en France, nouvelle édition entièrement refondue, augmentée et mise à jour, Rouen, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2021. https://purh.univ-rouen.fr/node/1353

2 https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/projections-des-effectifs-dans-l-enseignement-superieur-pour-les-rentrees-de-2020-2029-47603

3 Dont par exemple un podcast sur les universités où interviennent des auteurs du livre : https://www.ih2ef.gouv.fr/les-podcasts-du-film-annuel-comprendre-le-positionnement-des-universites-et-les-enjeux-de-la

 

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